Quel étonnement pour moi de voir certaines gens demander aux autres
Du temps
Et ceux à qui on le demande
le donner si facilement
Les uns et les autres ne s’occupent que de l’affaire pour laquelle le temps a été demandé
Mais le temps même
Aucun n’y songe
On dirait que ce qu’on demande
Ce qu’on accorde
N’est rien
On se joue de la chose la plus précieuse qui existe
Ce qui les trompe c’est que le temps est une chose incorporelle
Qui ne crève pas les yeux
Ce pour quoi on l’estime à si bas prix
Ou plus : comme étant presque sans valeur
On reçoit des pensions annuelles
Et on donne en échange
Des travaux
Des services
Ou des soins
Et personne ne met à prix son temps
Chacun le donne comme s’il était gratuit
Voyez ces mêmes gens quand ils sont malades
Si le danger de la mort les menace ils se jettent aux genoux des médecins
S’ils craignent le dernier supplice ils sont prêts à tout sacrifier
Pourvu qu’ils vivent
Il y a tellement d’inconséquences dans leurs sentiments
Que si l’on pouvait leur faire connaître à l’avance
Le nombre de leurs années à venir
Celui de leurs années écoulées
Quel serait l’effroi de ceux qui verraient qu’il n’ en reste plus beaucoup
Comme ils en deviendraient économes
Rien n’est plus simple que d’accepter le cadeau qui nous est donné
Aussi petit soit-il
On ne ménage jamais avec trop de soin le bien qui
D’un moment à l’autre peut nous manquer
Ne croyez pourtant pas que tous ignorent que le temps est une chose précieuse
Ils ont l’habitude de dire à ceux qu’ils aiment passionnément
Qu’ils sont prêts à leur sacrifier une partie de leurs années
Et ils les donnent en effet mais de façon à se dérober eux-mêmes
Sans aucun profit pour l’autre
Tout au plus savent-ils qu’ils s’en défont
Aussi supportent-ils aisément cette perte
dont ils n’ont plus idée de l’importance
Personne ne vous restituera vos années
Personne ne vous rendra à vous-même
La vie continuera comme elle a commencé
Sans se retourner
Ni suspendre son cours
Et cela
Calmement
Sans que rien n’avertisse de sa rapidité
Elle s’écoulera de manière insensible
Et ni l’ordre d’un monarque
Ni l’opinion favorable du peuple ne pourront la prolonger
Elle suivra l’impulsion qu’elle a d’abord reçue
Elle ne se détournera pas
Elle ne s’arrêtera nulle part
Qu’arrivera-t-il ?
Pendant que vous vous affairez la vie se hâte
La mort arrive
Et elle
Il faudra la recevoir
Quoi qu’il en coûte
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